Pendant plus d´un siècle, les côtes du Nord et de Bretagne, telles que les villes de Dunkerque, Gravelines, Paimpol, Lorient et Saint Brieux ont vu des centaines de bateaux quitter leurs ports au début du mois de Février vers les côtes islandaises.
Chaque année, de 1850 à 1930 environ, les Islandais, c´est ainsi qu´étaient appelés ces pêcheurs français, embarquaient à bord de goélettes, dundee et trois-mâts pour de longues campagnes de six à huit mois.
La pêche à la morue, la Grande Pêche, a tenu une place prépondérante dans l´économie du Nord et de la Bretagne pendant des siècles et a alimenté toute la France de ce poisson très prisé. L´activité se développe à partir de 1763 suite à un accord sur les droits de pêche entre la France et le Danemark, dont l´Islande est une colonie. La morue salée était commercialisée dans l´arrière-pays, en région parisienne et dans l´Est de la France. Une forte activité économique issue de la Grande Pêche fût générée (construction navale, ateliers de réparations, gréeurs, tonneliers …).
Larguer les amarres
L´œuvre de Pierre Loti, Pêcheurs d´Islande, quoique roman et non récit historique, a permis de faire connaitre les conditions de vie très difficiles des pêcheurs qui partaient en plein hiver vers les côtes islandaises pour pêcher la morue sur des bateaux à voiles. Le roman se passe en Bretagne mais c´est dans le Nord qu´ont débuté les campagnes.
En Bretagne, avait lieu le Pardon des Islandais avant le départ et dans le Nord, avait lieu un carnaval, dont le plus réputé, celui de Dunkerque, a encore lieu chaque année en Février.
Les bateaux étaient chargés de vivres, d´eau, d´alcool et de tonnes de sel dans lequel serait conservée la morue.
Les pêcheurs recevaient une avance avant le départ qui servait entre autre à acheter des vêtements, lainages et « ciré de marin », confectionné avec de la toile épaisse, huilée avec de l´huile de lin puis de l´huile de foie de morue.
La vie à bord
Les conditions de vie à bord étaient très difficiles. La pêche se faisait à la ligne, tous alignés le long du plat bord, face au vent. Le travail, de 18 à 20h par jour était harassant, d´autant plus que la rémunération des pêcheurs était à la pièce. Le climat favorisait les maladies telles que le scorbut, la tuberculose et la pneumonie, en plus des blessures et engelures.
L´équipage restait à bord plusieurs mois. Ils ne venaient à terre qu´une fois au moment du premier transbordage vers la mi-mai. Les nordistes vidaient et nettoyaient les morues à bord avant de les saler et de les stocker en tonneaux, les Bretons eux, les mettaient en cales directement avec du sel. La deuxième pêche, qui avait lieu à l´Ouest et au Nord de l´Islande, commençait, avant un retour en Septembre.
Les premiers hôpitaux d´Islande
Ce sont les Français qui ont construits les premiers hôpitaux en Islande, ceci dans le but d´y soigner les pêcheurs français, blessés et malades, au cours de ces campagnes de pêche aux larges de l´Islande. La France en construisit trois au cours du XIXème siècle. Il y eu d´abord des maisons de malades, notamment à Fáskrúðsfjörður mais avec l´augmentation du nombre de bateaux au fil des années, celles-ci ne suffirent bientôt plus. C´est en 1897 que le premier navire-hôpital de la Marine nationale accompagna les pêcheurs en campagne. Le Saint-Paul, trois-mâts de 37m, avait à son bord une salle d´observation avec sept lits, une pharmacie bien équipée, une salle de réunion et une chapelle. Il n´opéra que deux ans et fit naufrage au cours de sa troisième saison, au large de Vík (Kúðafljót, Meðalland) en 1899. L´équipage fut sauvé et l´épave fût vendue aux enchères, comme il était d´usage à l´époque. Planches, cordages, voiles, nourriture mais aussi l´alcool (cognac, rhum et vin rouge). En 1904 fut construit un hôpital à Fáskrúðfjörður. Celui-ci disposait d´un grand nombre d´innovations technologiques, notamment l´eau courante et toilettes avec chasse d´eau et évacuations. Un hôpital fût également construit sur les îles Vestmann et à Reykjavík.
Sur les traces des pêcheurs français en Islande
Peu à peu, à la veille de la première guerre mondiale et avec l´arrivée des chalutiers, la pêche sur les côtes islandaises s´est progressivement arrêtée. Le « Saint-Jehan » est le dernier bateau à appareiller de Gravelines, en 1938.
La ville de Fáskrúðfjörður, dans les fjords de l´Est, peut être considérée comme la ville française d´Islande. Chaque année à la fin Juillet sont organisées « Les jours français » avec jeux de pétanques, course à pied et de vélo et autres activités, cérémonie et hommage aux pêcheurs ainsi que brocante et concerts. (www.franskirdagar.com). A toute période de l´année, vous pouvez y visiter l´hôpital nouvellement rénové qui est un hôtel et musée dédié à la Grande Pêche, ainsi que quelques autres maisons construites par les Français et qui se trouvent toujours dans le village. Le nom des rues, en français, vous donnera un petit air de chez nous. Au bout de la ville, face à la mer se trouve également un cimetière de pêcheurs français et belges. La ville est jumelée avec la ville de Gravelines.
Grundarfjörður est jumelée avec la ville de Paimpol. Vous y trouvez notamment la rue de Paimpol-Hrannarstígur, qui a son équivalent à Paimpol « rue des Islandais, Grundarfjörður » ainsi qu´une croix offerte par la ville de Paimpol et apportée à Grundarfjörður sur le voilier l´Etoile en 2006.
La ville de Patreksfjörður, dans les fjords du Nord-Ouest a érigé un monument en hommage aux pêcheurs français. Vous pouvez également visiter l´exposition permanente tenue par María Óskarsdóttir, passionnée par l´histoire des pêcheurs français, dont la collection d´objets et de documents est impressionnantes. Elle a publié un livre disponible en français : Pêcheurs de France vus par les Islandais. Le musée se trouve au 8, rue Mýrar.
A Reykjavík, Frakkastígur, littéralement, la rue des Français, fait référence à l´hôpital français qui fut construit dans cette rue et qui abrite aujourd´hui une école d´art. Vous trouverez également des vestiges de la Grande Pêche dans les musées islandais tels qu´au musée de Skogar dans le Sud et le Musée National à Reykjavik.